Corollaire II ~ La loi du Plus Bas de Quach
« La vie, c’est comme une balançoire : il y a des hauts et des bas,
mais il y aura toujours un enculé pour te foutre le cul par terre. »
Corollaire de Blanchard :
« Et en plus la balançoire te revient en pleine tête. »
Vendredi 16 mars XXXX
06:41 a.m.
Tōkyō, quartier de Beika
Résidence Kudō _Un petit rayon de soleil matinal vint petit à petit éclairer doucement son visage, perçant timidement ses paupières. Conan poussa un petit grognement endormi, remuant dans ses couvertures, puis ouvrit lentement les yeux. Puis il les écarquilla et sursauta violemment, se relevant dans un soubresaut rapide et stupéfait.
Il n’était pas chez les Mōri. Il reconnaissait bien cet endroit… il était chez lui.
Mais pourquoi avait-il dormi chez lui, dans sa chambre ? Était-ce un rêve ?
Il vérifia en regardant sa main, puis la silhouette de son corps au travers des couvertures ; finalement non, il était toujours Conan. C’aurait été trop beau.
Quelques minutes supplémentaires lui suffirent pour se réveiller complètement, et alors il se souvint de tous les évènements de la veille.
L’arrivée de son futur.
Son plan pour combattre l’Organisation.
Son attitude suspecte, et sa volonté de le garder en surveillance le plus possible.
Il regarda autour de lui, mais ne le vit pas ; il se rappela qu’il avait dormi dans la chambre de ses parents, le laissant dormir dans sa propre chambre.
Se faisant le plus discret possible, il sortit des couvertures et se dirigea sur la pointe des pieds vers la pièce en question, entrouvrant la porte sans faire le moindre bruit. Il remarqua qu’il dormait toujours, et poussa un soupir de soulagement.
Cela devait lui laisser au moins quelques minutes. C’était largement suffisant.
Retournant tout aussi silencieusement dans sa chambre, il s’empara de son téléphone portable et composa un numéro le plus rapidement et discrètement possible. Lorsque le concerné décrocha, ce fut en murmurant qu’il lui répondit.
«
Oï, Kudō… Tu sais l’heure qu’il est ? Je viens à peine de me réveiller…- Je sais, désolé. Mais justement, je devais t’appeler avant qu’
il ne se réveille.
-
De qui tu parles ? Et pourquoi tu parles tout doucement comme ça ? »
Il eut une légère hésitation, puis se décida à répondre :
« Tu vas probablement pas me croire si je te dis la vérité, mais… disons que quelqu’un qui en sait long sur nous tous comme sur l’Organisation est arrivé hier soir en se faisant passer pour moi. Je suis actuellement chez moi, et il dort encore à côté.
-
Attends, c’est quoi ton histoire ?- Je crois qu’il est de notre côté, mais ses méthodes ne me disent rien qui vaille. Alors je voulais te prévenir, si jamais tu passes par Tōkyō d’ici peu. »
Un léger marmonnement incompréhensible grésilla à travers le combiné, signe d’un certain acquiescement.
«
Je vois. Donc si je passe par là et vois quelqu’un qui se fait passer pour toi, je dois faire comme si de rien n’était ?- Prends-le comme tu veux, mais reste sur tes gardes. Ce type est potentiellement dangereux, et pire que ça… Bon, si tu veux la vérité, il est tellement proche de moi qu’il serait capable de prédire tous mes mouvements et de les anticiper sans aucun problème. C’est pour ça que—
- C’est vrai. Je te connais suffisamment bien pour te trouver plutôt… prévisible, Kudō. »
L’enfant sursauta violemment, jurant intérieurement. Il se retourna aussitôt vers la porte, et aperçut son alter-ego adossé contre cette dernière, les bras croisés et le regard semblant mélanger mépris, lassitude et, paradoxalement, compréhension.
« Raccroche. Dis-lui de venir et raccroche. Autant qu’on s’explique tous en face à face, à trois. Ce n’est pas bien de parler dans le dos des gens. »
Silence. Le concerné fronça les sourcils, mais finit par se tourner de nouveau vers son téléphone.
« Hattori.
-
J’ai entendu. J’arrive demain, on sera samedi. Je prendrai l’avion à la première heure.- Parfait. »
L’écolier appuya sur le bouton rouge de son appareil, puis rangea son téléphone et se tourna vers son “futur”.
« Tu faisais semblant de dormir juste pour me piéger, hein. T’es déjà habillé.
- Tu ne sais que trop bien pourquoi je te connais, et pourquoi tu es aussi prévisible. Et je comprends aussi pourquoi, même en étant certain de mon identité, tu resteras méfiant à mon égard. »
Silence. L’enfant maintint son regard ombrageux.
Le lycéen finit par pousser un profond soupir lassé.
« Enfin, passons. Habille-toi vite, je m’occupe du petit-déjeuner. Je te rappelle qu’on a cours dans un peu plus d’une heure et demie, et je compte passer chez Agasa pour lui expliquer plus en détail la situation, vu qu’on l’a quand même laissé sous le choc hier soir. Ça ne nous laisse plus beaucoup de temps, alors je te conseillerais de te dépêcher. On a une grosse journée aujourd’hui. »
Il ouvrit alors la porte et sortit sans rien ajouter. Son petit alter-ego entendit des bruits de pas caractéristiques de la marche de quelqu’un descendant les escaliers.
Une fois certain qu’il ne pourrait plus l’entendre, l’enfant ragea et laissa s’échapper un grommellement avant d’enfoncer violemment son poing dans son matelas.
Mais les draps amortirent complètement le choc.
Vendredi 16 mars XXXX
06:58 a.m.
Tōkyō, quartier de Beika
Résidence d’Hiroshi Agasa _« Je vois… Je ne te cacherai pas que votre passage avait été assez rapide hier soir et que vous n’aviez pas été très clairs dans vos explications, donc je pense que tu imagines bien la surprise que j’ai eue en remarquant que vos empreintes digitales étaient identiques.
- Désolé
Hakase, s’excusa Conan en passant sa main derrière la tête. Il faut avouer que j’étais plutôt pressé d’en savoir moi-même un peu plus en privé, donc on a dû vous quitter assez tôt… »
Haibara se contenta, de loin, de boire une gorgée de thé supplémentaire tout en regardant la discussion d’un œil lointain et en apparence distrait.
Ainsi, il y aurait désormais
deux véritables Kudō Shinichi… Fascinant.
Quand elle y réfléchissait, ce nouveau venu semblait plutôt sûr de lui et de son plan. Bien qu’il semblât étrange qu’il fût aussi réticent à parler avec plus de détails de ce qu’il avait vécu et ce qu’il comptait faire, elle ne doutait pas tant que cela de lui ; toutes les preuves rassemblées étaient suffisantes et prouvaient bien qu’aucune imposture n’était possible. Donc elle le trouvait digne de confiance. Ce
Kudō-san – car oui, elle ne pouvait plus réellement l’appeler “Kudō-kun” s’il avait
réellement dix ans de plus qu’elle – disait donc probablement la vérité, bien que demeurant réticent à parler. Mais elle gardait malgré tout confiance en lui.
Après tout, elle-même conservait de nombreux secrets concernant l’Organisation. Lui aussi pouvait bien avoir les siens, du moment que son plan fonctionnait et qu’il parvenait en effet à régler le problème auquel il avait décidé de s’attaquer. Donc finalement, qu’il fût volubile à ce propos ou non lui était complètement égal, puisque cela ne changerait en rien le résultat.
« Cette situation n’a pas l’air de te surprendre plus que ça, on dirait. »
La jeune métisse sursauta légèrement avant de se retourner vers l’origine de cette voix. Tiens donc, comme par hasard. Quand on parle du loup…
« Bah. As-tu seulement été surprise par quoi que ce soit un jour ? reprit le lycéen d’un ton amusé. Enfin, pour être exact, c’est plutôt que tu sais cacher ta surprise. J’admire ton sang-froid. Je ne l’avais pas à ton âge, ironisa-t-il en jetant un regard à son petit alter-ego.
- Il en fallait pour survivre au sein de l’Organisation, se contenta-t-elle de répondre avec un petit sourire nerveux.
- J’imagine bien. »
Elle eut comme un silence gêné. Lorsqu’elle reprit, ce fut pour changer de sujet :
«
Hakase et ton copain ont l’air de parler de toi avec beaucoup d’intérêt, constata-t-elle sur un ton moqueur, presque sournois.
- Je vois ça. Contrairement aux autres, je suis certain que ce gamin ne s’en remettra pas de sitôt. Et je crois que, paradoxalement, ce sera de loin le plus suspicieux à mon égard… Quoique, je m’attendais à un peu plus de méfiance de ta part, au vu de… quelque chose. »
Silence.
« Tu parles de
“ça” ?
- Je savais bien que tu l’aurais remarqué tout de suite. Alors ça n’a vraiment éveillé aucun soupçon chez toi ? »
La jeune métisse étouffa un petit rire amusé.
« Du moment que j’ai la preuve irréfutable que tu es bien Kudō Shinichi, je n’aurai aucun soupçon contre toi. Même si j’ai été particulièrement étonnée en le découvrant, c’est vrai.
- Heureusement que ce gamin, lui, ne peut pas le voir… »
L’enfant retint un léger rire narquois.
« J’aime bien comment tu l’appelles. Le “gamin”. C’est toi il y a dix ans, je te rappelle.
- Plus vraiment, puisque nous sommes devenus deux personnes distinctes depuis que je suis ici. Mais d’un certain côté… si, on peut dire ça. C’est possible. »
Il appuya sa tête contre son poing, le coude reposant sur la table. Il regarda son alter-ego avec une expression indéchiffrable.
« C’est dingue comment les gens changent en dix ans, continua-t-il, comme s’il semblait réellement étonné par cette remarque.
- C’est vrai. Comparé à toi, on dirait vraiment un
gamin immature qui joue aux détectives et ne se rend vraiment pas compte de l’épaisseur du filet dans lequel il s’est empêtré.
-
Ohe,
ohe, n’exagère pas non plus… C’est juste qu’il manque encore d’informations pour bien s’en rendre compte. »
Elle lui lança un regard moqueur.
« Mine de rien, ce genre de remarques t’affecte toujours on dirait. T’es plutôt versatile, quand on y réfléchit. »
Il allait répliquer, mais ne trouva pas les mots ; légèrement vexé sans pour autant le montrer explicitement, il se contenta de croiser les bras et de détourner discrètement le regard.
« Mais plus sérieusement, je sens que tu as vraiment saisi tout ce qui t’échappait il y a dix ans ; c’est grâce à
ça, n’est-ce pas ? En tout cas, c’est pour ça que je te fais confiance. Je sais que tu vas vraiment nous débarrasser de cette organisation une bonne fois pour toutes.
- Alors tu ne leur en parleras pas, hein ? Je n’ai pas envie d’avoir d’ennuis à cause de
ça.
- Tu peux compter sur moi. »
L’autre conversation qui avait lieu à quelques mètres d’eux, se tenant entre le vieux professeur et le petit écolier, prenait un ton beaucoup plus dramatique. Une fois de plus, Conan faisait part de sa méfiance et de son inquiétude, sans toutefois avoir de réels fondements à ses propos. Agasa tentait de calmer ses ardeurs, voyant surtout dans le voyageur temporel le Shinichi qu’il avait toujours connu et ne comprenant pas l’origine de tels soupçons ; il n’en restait toutefois pas dupe, admettant que l’éternel maintien des secrets du lycéen était étrange. Mais il ne le voyait que comme la preuve d’un certain traumatisme dont il voulait éviter de parler, ce qui était compréhensible et permettait d’évacuer tout soupçon à son égard.
L’enfant, en se tournant vers son alter-ego, songea à cette possibilité comme quelque chose d’en effet envisageable.
Oui. Peut-être devrait-il éviter de voir du danger partout, après tout. S’il ne pouvait même plus faire confiance à
lui-même, jusqu’où irait-il donc dans la paranoïa ?
Mais il n’empêche qu’il ne parvenait pas à trouver une quelconque explication potable au fait qu’il tînt à agir seul dans son plan. Si même le FBI ou la CIA ne devaient pas être impliqués d’après lui… Même la veille, il avait bien mis l’accent sur le fait qu’Okiya Subaru, en venant s’installer avec eux, ne ferait que leur mettre des bâtons dans les roues, alors qu’il savait pertinemment de qui il parlait en réalité. Et de même, jamais il n’avait tenté de contacter quiconque pour parler de ses plans, répétant encore et toujours qu’il agirait
seul.
Tenait-il tant que cela à agir dans la discrétion et la simplicité ? Comment comptait-il démanteler l’Organisation à lui seul, au juste ?
Non. Il voulait bien lui accorder un peu de confiance, mais ces points d’ombre le torturaient et lui prouvaient que quelque chose n’allait pas avec lui.
Ce fut Haibara qui fit remarquer au bout de quelques minutes supplémentaires que l’heure était déjà plutôt avancée et qu’ils n’avaient pas de temps à perdre s’ils voulaient éviter d’arriver en retard à Teitan ; se dépêchant de préparer leurs affaires, les trois étudiants partirent sans tarder après avoir salué le professeur.
Tandis que l’adolescent marchait devant sans rien dire, semblant totalement perdu dans ses pensées, les deux écoliers le suivaient à quelques mètres de distance, se mettant à parler entre eux.
« Tu sais, j’ai l’impression que ton “futur” me ressemble un peu selon certains points… avoua la jeune métisse dans un petit sourire mystérieux. J’aime bien son nouveau mode de raisonnement. Tu devrais en prendre de la graine, Kudō-kun. »
Le concerné, les mains dans les poches, se contenta de lorgner vers le lycéen qui marchait juste devant, fronçant les sourcils d’un air grave et soupçonneux.
« Justement. Il est un peu trop “toi”, c’est ça le problème. »
Samedi 17 mars XXXX
10:42 a.m.
Tōkyō, quartier de Beika
Agence Mōri _
Ce fut avec un mélange de surprise et de gaîté que Ran découvrit le lycéen au teint mat qui se trouvait sur le pas de sa porte d’entrée. Elle l’invita naturellement à rentrer, se précipitant dans la cuisine pour aller chercher quelques rafraichissements.
« Tu es seule ? fit remarquer avec étonnement l’adolescent lorsqu’elle revint avec une bouteille de jus de fruits, tandis qu’il sondait minutieusement la pièce.
- Oui,
Otō-san est encore parti je-ne-sais-où…
- Et Ku— Conan-kun ? »
Elle marqua un léger mouvement de recul évasif, mais se reprit aussitôt, comme si elle tenait à faire comme si ce geste qui n’avait pas lieu d’être n’avait jamais été réalisé.
« Ça va faire deux jours qu’il est chez Shinichi… Je n’ai plus trop de nouvelles de lui, d’ailleurs. Il ne passe quasiment plus par ici depuis que Shinichi est rentré. »
Après avoir marqué un instant de surprise, le détective reprit une expression neutre et se contenta d’acquiescer d’un simple hochement de tête suivi d’un marmonnement.
S’il en était au point de le surveiller nuit et jour et allait jusqu’à en oublier de retourner voir Ran, voire de simplement lui donner de ses nouvelles, ce devait assurément être un cas sérieux.
« Mais tu vois Kudō au lycée, non ? Il ne te donne pas de nouvelles de lui ?
- Il reste très vague, il se contente de me dire qu’il va bien… Il ne parle pas beaucoup en ce moment. Il me dit toujours que c’est parce qu’il est très concentré sur son affaire. »
Elle semblait se douter de quelque chose, apparemment.
Sentant que s’il éternisait cette conversation, il ne ferait qu’augmenter le risque d’éveiller des soupçons par mégarde, l’Ōsakien finit par juger qu’il était préférable de ne pas tarder beaucoup plus longtemps. À trop parler de Kudō, elle serait capable de commencer à se poser plus de questions que celles qu’elle semblait déjà se poser… aussi préféra-t-il aller droit au but, annonçant qu’il ne voulait pas abuser de son hospitalité alors qu’il recherchait en réalité à voir le petit Tokyoïte.
Quoique… S’il lui clamait aussitôt qu’il voulait clairement éviter de prolonger cette discussion, elle eut été capable de trouver cela suspect. C’eut été aussi impoli que maladroit de la quitter tout de suite… Il lui fallait plutôt changer de sujet.
« Au fait, comment va ton père alors ? »
Ran parut surprise par cette question, puisqu’elle montra un semblant d’étonnement tout en sursautant très légèrement. Mais elle se ravisa aussitôt, prenant un air étrangement… anxieux.
« Eh bien… Il s’est vu confier une affaire hier soir, mais il a eu beaucoup de difficultés à la résoudre.
Megure-keibu-san a été très déçu… et je n’ai pas réussi à l’empêcher de passer sa nuit à boire. »
Il afficha une expression semblant mêler lassitude, compréhension et, paradoxalement, tristesse. Comme s’il n’était même pas surpris de ce résultat et qu’il connaissait la raison véritable de cet échec, sans vouloir la donner.
Il demeura ainsi un instant, hésitant, ne sachant comment relancer la conversation. Heureusement, elle lui offrit rapidement une porte de sortie qu’il n’osait espérer :
« Tu avais dit tout à l’heure que tu voulais voir Conan-kun… C’est pour ça que tu es venu ici, hein ?
- Oh, c’est vrai…
- Si tu veux aller le voir, alors je ne vais pas te retenir, ne t’en fais pas. Tu sais où habite Shinichi, n’est-ce pas ? »
Il acquiesça avec vivacité avant de se lever et de la remercier pour son hospitalité, bien que semblant troublé.
Elle constata bien qu’il semblait lui cacher quelque chose. Mais elle se contenta de lui adresser un petit sourire indéchiffrable, le reconduisant dans l’entrée.
« Au fait, Hattori-kun… »
Le concerné se stoppa alors qu’il allait partir pour de bon, se retournant vers elle avec un regard interrogateur.
« Surtout, ne le dis à personne, mais… J’ai l’impression que Shinichi est un peu bizarre en ce moment. Je ne sais pas pourquoi. »
Il resta un instant immobile, l’air évasif, ne sachant comment réagir. Mais il finit par rajuster sa casquette d’un air assuré et à demi naturel, acquiesçant d’un rapide mouvement de tête.
« Okay. C’est noté. Je verrai bien. »